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Droit international privé

Actualité, Analyse et commentaire proposés par

Hélène Péroz

Professeure agrégée en droit privé et sciences criminelles à la faculté de droit de l'Université de Nantes

Of counsel  dans le cabinet d'avocats BMP et associés

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  • Photo du rédacteurheleneperoz

Enlèvement international. Suspension de la force exécutoire de la décision ordonnant le retour. Non


CJUE, 16 février 2023, affaire C‑638/22





T.C. et M.C., tous les deux de nationalité polonaise, sont les parents de deux enfants mineurs nés en Irlande respectivement en 2011 et en 2017. Cette famille réside depuis plusieurs années dans cet État membre.


Au cours de l’été de l’année 2021, M.C. est partie, avec le consentement de T.C., en vacances en Pologne avec les enfants mineurs. Au mois de septembre 2021, M.C. a informé T.C. qu’elle resterait de manière permanente dans cet État membre avec ces enfants. T.C. n’a jamais consenti à un tel déplacement permanent de ces derniers.


Le 18 novembre 2021, T.C. a saisi le Sąd Okręgowy we Wrocławiu (tribunal régional de Wrocław, Pologne) d’un recours tendant à ce qu’il soit ordonné à M.C. d’assurer le retour en Irlande des enfants mineurs, sur le fondement de la convention de La Haye de 1980. Par une ordonnance du 15 juin 2022, cette juridiction a ordonné à M.C. d’assurer ce retour dans un délai de sept jours à compter de la date à laquelle cette ordonnance deviendrait définitive. Un appel a été interjeté qui a été rejeté. La décision de la Cour d’appel en date du 21 septembre 2022 a acquis force exécutoire le 28 septembre 2022, sans que M.C. ait respecté l’injonction d’assurer le retour de ces enfants en Irlande.


Le 30 septembre 2022 et le 5 octobre 2022, le médiateur des droits des enfants et le procureur général ont respectivement introduit, en vertu de l’article 388, paragraphe 1, du code de procédure civile polonais des demandes de suspension de l’exécution des ordonnances définitives des 15 juin et 21 septembre 2022.


En effet, en vertu de l’article 388 du code de procédure civile, introduit dans ce dernier par la loi de 2022, le procureur général, le médiateur des droits des enfants et le médiateur (ci-après, ensemble, les « autorités habilitées ») disposent désormais de la faculté d’obtenir la suspension de l’exécution d’une décision ordonnant le retour d’enfants en vertu de la convention de La Haye de 1980, lorsqu’ils en font la demande auprès du Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie). Les autorités habilitées ne sont pas tenues de motiver leur demande. Une telle demande entraîne une suspension de plein droit pour une période d’au moins deux mois.


La Cour de Varsovie saisit la CJUE d’une question préjudicielle. Elle se demande si l’article 11, paragraphe 3, du règlement n°2201/2003 Bruxelles II bis, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale conférant à des autorités n’ayant pas la qualité de juridiction la faculté d’obtenir la suspension de plein droit, pendant une durée d’au moins deux mois, de l’exécution d’une décision de retour rendue sur la base de la convention de La Haye de 1980, sans devoir motiver leur demande de suspension.


La convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants du 25 octobre 1980 permet d'assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout Etat contractant (ce qui est le cas de l’Irlande et de la Pologne.


Or la Convention de La Haye ne prévoit pas de règles de compétences juridictionnelles permettant de prononcer le retour de l’enfant. S’applique alors le Règlement Bruxelles II bis qui prévoit des règles de compétence applicables aux Etats membres de l’UE en matière de responsabilité parentale.


Il est à noter que le Règlement n°2019/1111 du Bruxelles II ter a largement modifié ces règles en matière de retour et prévoit un chapitre entier dédié à l’enlèvement international d’enfants. Rationae temporis, le règlement de Bruxelles II ter n’était pas applicable.


La possibilité de faire suspendre de plein droit la force exécutoire d’une décision définitive ordonnant le retour des enfants est-elle cohérente avec la célérité exigée par le Règlement Bruxelles II bis et la convention de La Haye en matière d’enlèvement international d’enfants ?


Selon l’article 11-3 du règlement dit Bruxelles II bis :


Une juridiction saisie d'une demande de retour d'un enfant visée au paragraphe 1 agit rapidement dans le cadre de la procédure relative à la demande, en utilisant les procédures les plus rapides prévues par le droit national.

Sans préjudice du premier alinéa, la juridiction rend sa décision, sauf si cela s'avère impossible en raison de circonstances exceptionnelles, six semaines au plus tard après sa saisine.


L’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’UE prévoit notamment que :


Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.


Comme le relève la CJUE, le règlement n° 2201/2003 complète et précise, notamment à son article 11, les règles de la convention de La Haye de 1980. Ils constituent un ensemble normatif indivisible qui s’applique aux procédures de retour des enfants illicitement déplacés au sein de l’Union


Force est de constater que la loi polonaise de 2022 qui prévoit une suspension d’une durée de deux mois de l’exécution d’une décision de retour définitive excède, à elle seule, le délai dans lequel, conformément à l’article 11 §3 du règlement n°2201/2003, cette décision doit être adoptée.


Selon la CJUE, il en résulte que l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) n°2201/2003 Bruxelles II bis , lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, s’oppose à une législation nationale conférant à des autorités n’ayant pas la qualité de juridiction la faculté d’obtenir la suspension de plein droit, pendant une durée d’au moins deux mois, de l’exécution d’une décision de retour rendue sur la base de la convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue à La Haye le 25 octobre 1980, sans devoir motiver leur demande de suspension.

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